Le biomimétisme, une voie pour les transitions environnementales

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Cathy GROSJEAN, Enseignante-chercheuse à l'ESQESE et dans l'Unité de Recherche "Confluences : Sciences et Humanités"

La prise en compte des enjeux environnementaux se fait depuis de nombreuses années par une fuite en avant technologique, qui traite plus souvent des conséquences que des causes des problèmes. De plus en plus de voix s'élèvent pour affirmer que les solutions durables seront celles qui nous sortiront de cette fuite en avant : nous devons ainsi repenser notre place dans le monde vivant et modifier le socle sur lequel nous tentons d'identifier des solutions.

Dans ce cadre le biomimétisme s'affirme comme une voie de pensée et d'action promettant des solutions intrinsèquement durables.

Il s'agit d'une approche créative inspirée du vivant et respectant l'environnement présent et futur puisque basée sur les principes du vivant et tenant compte des limites planétaires.

Le biomimétisme est ainsi double :

  • d'une part d'un état d'esprit replaçant l'espèce humaine à sa juste place dans le monde vivant : sortir de l'anthropocentrisme et penser l'Homme dans son interdépendance au reste du vivant ;
  • et d'autre part d'une méthode de créativité inspirée du vivant : les milliards d'années d'essais-erreurs-améliorations dans le monde vivant sont un formidable vivier de R&D sur lequel nous appuyer pour trouver de nouvelles réponses aux problèmes du développement humain dans une planète finie.

Le biomimétisme répond particulièrement bien aux freins actuels face aux transitions environnementales.

  • Les sociétés occidentales sont basées sur la prédation des ressources, donnant lieu à une économie linéaire (extraction, utilisation, mise au rebut). Le vivant recyclant tout, une économie bioinspirée impose une économie circulaire voire régénérative (créant des effets positifs et non plus seulement neutres).
  • Les sociétés occidentales mettent en œuvre un mode de pensée réductionniste et mécanistique (hérité de la Modernité), qui nous conduit à corriger les effets plutôt que nous attaquer aux causes, et à corriger chaque effet indépendamment plutôt qu'adopter une approche systémique. Le vivant est interdépendant, interconnecté, et s'en inspirer conduit ainsi à identifier des solutions elles-mêmes interdépendantes, donc systémiques et globales.
  • La culture occidentale a séparé l'espèce humaine du reste du vivant, identifié sous le terme de "nature". C'est pourtant une vision non soutenue par la science (physique, chimie, biologie, écologie scientifique) qui démontre la continuité des lois et modes de fonctionnement dans tout le monde vivant. Le biomimétisme lutte contre cet anthropocentrisme et nous réinsère dans l'unicité du  monde vivant.

Les critiques du biomimétisme

Comme tout courant de pensée de l'écologie, le biomimétisme doit également être critiqué :

  • Cette méthode de créativité bioinspirée propose de répondre aux problèmes actuels, issus de la technologie, par d'autres technologies, ce qui conduit à dire que ça n'est pas la bonne solution. La contre-critique est de répondre que les technologiques qui relèvent du biomimétisme ne peuvent pas créer ou amplifier des problèmes, car elles sont intrinsèquement compatibles avec la vie et durables.
  • Cette méthode s'inspire du vivant et donc peut être interprétée comme soutenant une vision utilitariste de la nature : il faudrait préserver le vivant car il va nous être utile plus tard, à nous Humains. Mais en réalité le biomimétisme s'inspire du vivant pour un bénéfice qui va à tout le monde vivant (et pas seulement aux Humains) : conserver au maximum les conditions de vie sur la Terre.
  • Pour certains cette démarche n'est pas assez radicale : "Le biomimétisme, s'inspirer de la nature pour mieux la détruire" (Oberlé, 2019).  Effectivement, c'est une démarche qui n'ambitionne pas de révolutionner notre modèle de société, mais de le rendre soutenable. On peut penser que ça n'est pas assez compte-tenu des enjeux.

Bibliographie

  • Chapelle et Raskin, 2020. Humanité bio-inspirée, une autre approche. Editions Cité des sciences et de l'industrie et Editions du Cherche Midi
  • Descola, 2005. Par-delà nature et culture. Gallimard
  • Kellert, 2005. Building for life: designing and understanding the Human-Nature connection. Island Press
  • Larrere, 2010. Les éthiques environnementales. Natures Sciences Sociétés
  • Oberlé, 2019. Biomimétisme, s'inspirer de la nature pour mieux la détruirehttps://greenwashingeconomy.com/ [consulté le 23/06/2022]
  • Persson et al., 2022. Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities. Environ. Sci. Technol
  • Steffen et al., 2015. Planetary boundaries: guiding human development on a changing planet. Science
  • White, 1967. The historical roots of our ecological crisis. Science